Cicatrices

J’aimerais que tu regardes ma cicatrice,
Celle de notre seule faiblesse, celle d’Achille.
Puis, femme, j’aimerais que tu la caresses.
J’aimerais que tes doigts la parcourent,
Qu’ils s’arrêtent point à point,
Glissants comme les aiguilles d’un temps implacable.
Ces lèvres à jamais jointes, closes sur l’intérieur,
Irréversible soudure de ma seule frontière,
J’aimerais que tes lèvres viennent y boire.
Y boire le suc à l’indicible goût de mon corps invincible,
Fragile et séculier, atteint par le temps qui passe ;
J’aimerais que tu viennes y boire au fleuve des mondes.
J’aimerais que ta langue s’y livre au décompte des années,
Sentir tes liquides me saisir d’une main exhaustive,
Recevoir, sur chaque entaille, ton vin de jouvence.
Alors, de cette fente fermée jailliront les échos de nos cris,
Et l’éternité, à nouveau, franchira nos peaux,
Laissant les silences éthérés chercher leur rédemption.
Puis nous en serions là.
Sur mes lèvres fermées, à jamais fermées,
Entre tes lèvres ouvertes, cherchant peut-être tes mots.
Nous en serions là, couchés lèvres à lèvres.
Venus boire au fleuve des deux mondes,
Chuchotant au creux des merveilles.
Nous en serions là.
Et, comblés des échos de nos souffles, doucement,
Je caresserais à mon tour ta cicatrice.



Leo S. Ross
29 05 2014