De l’espoir en l’inquiétude

Pendant des années, disons le premier tiers de ma vie, je n’ai été animé que par l’espoir que nous parviendrions à trouver un autre futur que celui qu’impose le capitalisme. Le spectre du totalitarisme soviétique n’était plus, une alternative allait surgir. Par mes modestes engagements, par l’émergence de nouvelles formes de luttes, par ma confiance en l’humanité, un autre futur pouvait surgir. L’espoir, ce détestable et adorable sentiment, me baladait.
Maintenant, je suis aussi inquiet.
Tout un pays se lève contre une offensive du capitalisme – la « réforme » des retraites – mais nous n’avons pas encore trouvé la force qui nous fera vainqueurs.
Je scrute et je lis, mais, malgré les années qui passent, je vois peu d’idées d’émancipation puissantes s’établir – il y a bien des slogans, mais ils ne suffiront pas.
Je ne comprends pas pourquoi l’idée de penser une autre société – en formalisant un projet de société – suscite si peu d’enthousiasme.
Il y a aussi que j’ai pris conscience de l’urgence écologique et que notre apathie collective me laisse pantois.
Dans le monde, je vois de grands pays confier le pouvoir politique à des demeurés, des fascisants et des représentants assumés de l’oligarchie.
Il y a aussi les violences policières. Non que cela m’étonne, imposer un certain ordre social a toujours été la fonction première des forces de l’ordre. Mais je ne m’attendais pas à voir un tel niveau de brutalité décomplexée : je vois bien que demain, s’il faut tirer à balles réelles, des uniformes sans honneur, encagoulés et surarmés n’hésiteront pas.
Je suis inquiet, aussi, parce que la machine politico-médiatique veut organiser de nouvelles années de fête pour un petit banquier, ou au pire, pour une néofasciste.
Il m’est arrivé plusieurs fois, ces dernières années, de penser à quitter ce pays.

De l’espoir en l’inquiétude

Pourtant je me pose, je me raisonne, et je vois aussi : l’incroyable et salutaire retour, avec une force inédite, des mouvements féministes ; des grévistes qui tiennent 50 (cinquante) jours de grève, honneur à eux ; les mobilisations sociales de par le monde, pugnaces, ne reculant pas face aux risques et s’organisant presque toujours sur des bases libertaires (sans hiérarchie, autogestion, démocratie directe, équilibre entre liberté et égalité, créativité artistique).
Je vois aussi qu’un nombre toujours croissant de gens sont convaincus qu’il ne s’agit plus de réformer, adapter, humaniser, décorer, pondérer le capitalisme. Qu’il faut changer d’organisation sociale et économique, qu’il ne peut plus y avoir de compromis – la menace climatique faisant probablement à cet égard mieux que des millions de tracts militants.
Les égoutiers vivent en moyenne 17 (dix-sept) ans de moins que les cadres. Avec la réforme des retraites Macron, ils devraient travailler 10 (dix) ans de plus.
2153 (deux mille cent cinquante-trois) milliardaires détiennent plus de richesses que 60% (soixante pour cent) de la population mondiale.
Une personne imaginaire qui aurait épargné 8000 (huit mille) euros par jour depuis le 14 juillet 1789 n’atteindrait pas 1% (un pour cent) de la fortune de Bernard Arnault – sinistre personnage dont il est d’ailleurs symptomatique qu’il ait fait fortune… dans le luxe, c’est dire l’inutile.
Une personne imaginaire qui aurait épargné un SMIC par jour depuis l’an zéro n’atteindrait pas non plus les 1% de la fortune de Bernard Arnault.
Je suis inquiet, mais les Arnault et Macron devraient l’être davantage.
Un de ces jours, ils vont prendre très cher.
Lorsque nous nous apercevrons collectivement qu’exproprier quelques riches, dans chaque pays, améliorerait significativement la vie de tous les autres.
Lorsque nous comprendrons que nous pouvons interdire les plastiques à usage unique l’année prochaine, et pas en 2040.
Lorsque nous nous apercevrons que nous pouvons vivre sans patrons, traders ou politiciens.
Je ne sais pas encore ce qu’enfantera l’union de l’inquiétude et de l’espoir. Mais je doute que ce soit serein. Il faudra que chacun-ne regarde où il se trouve : il n’y a que deux côtés à une barricade.



Leo S. Ross
23 01 2020