Le temps des confusions
En France, ces temps-ci, les gens sont de plus en plus séduits par le vote FN, les élections partielles et les sondages semblent l’attester (alors qu’en Grèce ou en Espagne d’autres logiques semblent en marche, ce qui devrait nous faire réfléchir…). Ces dernières années, ce parti a travesti son agitation xénophobe pour développer un discours antisystème de pacotille, dans lequel ils fustigent les pouvoirs de l’argent et autres financiers internationaux qui viennent voler la patrie. Mais, Français tentés par ces ordures, avez-vous donc oublié que l’extrême droite est économiquement libérale ?! Qu’ils sont toujours le dernier rempart des classes dominantes qui préfèrent leur ordre au risque d’une révolution ? Que tous leurs travestissements ne feront jamais taire leur âme fétide de fascistes stupides, malsains, assoiffés de pouvoir et de violence ? Comment pouvez-vous autant vous tromper ?!
Un ami m’a raconté avoir été récemment impliqué dans une longue conversation avec un groupe de ses amis à propos d’un site web. Certains le citaient, le lisaient, le trouvaient en partie juste et à propos ; tandis que d’autres avaient tout de suite vu qu’il s’agissait d’un site tenu par des fachos qui avancent masqués et multiplient les tribunes sur internet. Parfois ils postent des articles dans lesquels bien peu de choses permettent de déceler qu’il s’agit de l’extrême droite, c’est vrai. Mais en regardant bien, ils sont toujours obligés de donner des gages à leurs lecteurs fafs (références, iconographie, liens amis…), ce qui permet de les identifier comme tels. Mais comment se fait-il que parmi un groupe dont mon ami atteste qu’ils sont tous d’authentiques progressistes, ce qui était l’évidence – et la vérité – pour certains passait tout à fait inaperçu pour d’autres ? Comment se fait-il que certaines des réponses apportées par ces sites trouvent une audience chez des gens bien, ou même que certaines des questions et problématiques soulevées leur semblent dignes d’intérêt ?
De ces trois anecdotes, comme de centaines d’autres qui pourraient confirmer que nous sommes dans le temps des confusions, on peut caractériser quelques points communs, quelques constantes.
D’abord, un facteur est en jeu dans les trois cas : l’absence ou la très faible culture politique, connaissance de l’histoire et de ses symboles. Le désintérêt pour la chose politique en est la cause première, et celle-ci est elle-même provoquée par la trahison des socialistes qui ont complètement renoncé à transformer le monde (à vrai dire les socialistes réformistes ne l’ont jamais voulu, mais au moins ils le prétendaient). Aujourd’hui, ils se sont ouvertement pliés, soumis et rangés aux ordres des capitalistes. De son côté la droite n’a jamais prôné que le conservatisme et a toujours été l’instrument politique des classes dominantes. Le résultat est que la plupart des politiques ne veulent pas changer ce monde. Les Français, qui le voient bien, se désintéressent donc de la politique qui a renoncé à changer ce qui devrait l’être. Et puisqu’ils s’en désintéressent, l’ignorance et la méconnaissance croissent.
Ensuite, une des raisons de ces confusions est que nous sommes sous influence. Des concepts, des idées, des noms et des logiques d’extrême droite sont toujours, partout et sans cesse relayés. Bien que la plupart d’entre nous les refusent, certaines, subrepticement, infusent en nos esprits et s’y installent comme des coucous de la pensée. Par exemple ce fantasme de fin du monde, ou les petits pets du FN à qui les journalistes donnent une si grande audience…
Enfin, dans un monde où les valeurs et pratiques de lutte progressistes, socialistes – au sens originel du mot – se délitent, du fait des trahisons, de l’individualisme et de la pression idéologique des capitalistes, tout à tendance à ressembler à tout. Les choses n’ont plus vraiment de surface, tout devient vague et flou, et dans ce brouhaha les idées et agitations de l’extrême droite ont leur place comme toutes les autres.
Comment sortir de ce temps des confusions ? D’abord en dénonçant, toujours et partout, ce qui doit l’être, l’extrême droite en premier lieu. Ensuite en revenant aux bases, à l’essentiel et à la common decency d’Orwell : le refus de la violence, du rejet d’autrui, des armes, des dogmes, la réduction des inégalités, l’identification de ceux à qui profite vraiment le système actuel (aux immigrés ou aux évadés fiscaux ? Quelle indécente blague…), la solidarité, le don, le souvenir de ce qui animait nos aïeux qui ont gagné par leur sueur et leur sang nos droits et libertés, les exemples d’autres peuples, ailleurs en Europe ou dans le monde. Et enfin, on peut sortir de la confusion simplement en prenant parti. Le politiquement correct est à la mode de nos jours. Un peu de ceci et un peu de cela. Mais au temps des confusions il est plus que jamais nécessaire d’affirmer : voici mon choix éthique, je dis ceci ou cela, eux sont des fascistes, et eux des amis, je ne veux pas de ça, ou oui, j’en veux. L’époque n’est pas à la modération. La revendiquer, quoi qu’on en pense, c’est alimenter la confusion. Nous pouvons le regretter ou y voir des opportunités, peu importe, cela ne change pas l’essentiel. Il faut s’engager. Alors peut s’évanouir la poisse de la confusion.