Les vrais durs ne dansent pas

Un livre de Norman Mailer

Au lendemain d’une cuite dont il n’a aucun souvenir, Tim Madden, écrivain dont on ne sait pas grand-chose de la production, trouve la tête de son épouse – Patty Lareine – enterrée dans sa cachette à marijuana. Et un tatouage sur son bras. Elle l’avait quittée quelques semaines auparavant. Dès lors et jusqu’au dénouement, le narrateur se demandera s’il est l’assassin et passera le reste du bouquin en quête de la vérité. Chemin faisant il nous racontera un peu de sa vie, de ses amantes, des personnages sordides qu’il croise, de Cap Cod et de l’ennui de Provincetown, une vie marquée et alcoolique, vie de roman noir.
Un style direct, où l’on voit le soin de l’auteur à éliminer l’adjectif superflu. Drôle, souvent, par exemple en parlant des yeux d’un sale type : « Ils étaient lumineux et doués de la curieuse capacité de lui sortir brusquement de la tête en s’allumant sur une quelconque remarque, comme si le diable en personne venait de lui enfoncer un doigt dans le cul » (p. 251).
Parmi les personnages croisés, l’un des plus réussis est celui de son père, l’ancien docker à la virilité modèle, écrasante pour son fils, Big Mac : « Nous naissons au milieu de la merde et de la pisse, dit-il. La culture elle-même parvenait à Big Mac au bout de son crochet de docker » (p. 107). Un homme dont « l’esprit était ailleurs, dans cet endroit lointain, plein de chagrin inexprimé, où il vécut le reste de ses jours » (p. 122). Parler de son père, mon Everest.
Les vrais durs ne dansent pas Le ton est indubitablement daté, force le whisky et le mégot froid des romans noirs américains, subrepticement misogyne… Mais ne serait-ce que pour quelques formules, comme savent faire les Ricains : « C’est ça qui me plaît dans les forces de l’ordre, lui dis-je. Tu mets un tueur sous l’uniforme et il n’a plus le droit de tuer » (p. 183) – sentence qu’il faudrait peut-être réviser à l’aune du comportement contemporain des forces de l’ordre.
Les adjectifs… il en parle ! « Hemingway avait raison. L’adjectif n’est que l’opinion de l’auteur sur ce qui se passe et rien de plus. Si j’écris : “Un homme très fort entra dans la pièce”, cela signifie seulement qu’il est fort par rapport à moi. À moins de m’être déjà bien fait connaître du lecteur, je risque bien d’être le seul client du bar que la carrure du nouvel arrivant impressionne. Mieux vaut écrire : “Un homme entra. Il portait une canne et, pour je ne sais quelle raison, la brisa brusquement en deux comme une brindille”. Certes, cela est plus long à raconter. Et donc les adjectifs permettent une écriture rapide du genre je vais vous apprendre à vivre, moi. La publicité prospère là-dessus » (p. 200 – 201).
« Les vrais durs ne dansent pas » (p. 239), un aphorisme paternel concernant les bagarres de rue, dont l’auteur a hérité un peu du talent (un autre dicton, incongru dans ce roman où n’apparaît aucun bateau, mais peut-être est-ce un reste d’une porosité entre marins et dockers : « Parle pas tant, tu vas écarter le vent des voiles » (p. 247). Un livre qui m’a rappelé que j’ai depuis des années un àlire de Mailer, Le combat du siècle – Kinshasa, 1974, Mohamed Ali vs. George Foreman.

PS : En couverture, une sorte d’idéal vestimentaire.


Les vrais durs ne dansent pas
Norman Mailer
Robert Laffont, 472 p.
1984



Leo S. Ross
08 08 2021