Nostalgie de la lumière
Un film de Patricio Guzmán
Il faut voir le documentaire « Nostalgie de la lumière » (« Nostalgia de la luz » dans son titre original), de Patricio Guzmán. Je connaissais Guzmán pour son magistral « La Bataille du Chili », film montrant l’émergence et l’agonie de la gauche au Chili, écrasée par le coup d’État du général Pinochet en 1973. Je savais depuis sa sortie en 2010 que je devais voir « Nostalgie de la lumière ». En 1989 un livre portant ce titre est entré dans ma bibliothèque, et y est resté. C’est un livre d’astrophysique, écrit par Michel Cassé. En le lisant, à l’époque, j’ai découvert quelques secrets essentiels de l’Univers, qui ont façonnés ma vision du monde et de la vie. Comme le fait que les éléments de notre corps, calcium, carbone, hydrogène ou oxygène viennent d’étoiles qui ont existé avant notre soleil, ou même de l’enfance de l’Univers, quelques instants après le Big Bang. Que nous sommes des poussières d’étoiles, et qu’un jour nous y reviendrons. Le film de Guzmán, qui a emprunté son titre à ce livre, montre et raconte comment dans le désert d’Atacama des hommes et des femmes travaillent la mémoire. Les uns sont astronomes et scrutent le passé des astres dans le ciel pur du nord du Chili. Des archéologues étudient les restes des Amérindiens qui ont vécu là bien avant l’arrivée des occidentaux. Et des femmes, dignes parmi les dignes, parcourent le désert avec leurs petites pelles à la recherche de débris d’os de leurs proches exécutés par les militaires de la dictature. Guzmán capte l’unité de ces humains, qui tous vivent dans le passé, celui des étoiles ou celui de l’histoire. Et qui essaient, en connaissance et en justice, de rendre notre présent vivable. En de virtuoses et poétiques dialogues, on touche au cœur de l’humanité, et à l’absurdité de notre modernité (comme quand un astronome regrette que leur discipline soit tellement plus reconnue que l’incessante recherche de ces femmes ; et qu’une de ces femmes, doublement victime, confirme qu’elles sont la lèpre du Chili). Le film nous entraîne dans un vertige de questionnements sur l’illusion du présent, la cruauté des assassins en uniforme, le temps qui cesse de passer, la pureté, la crasse, la grandeur et la douleur humaine. Servi par une esthétique parfaite, ce documentaire hisse l’humain jusqu’aux étoiles. Là où il fait très chaud, là où c’est à la fois si beau et presque invivable.