Présidentielle 2017

Le bal présidentiel va bientôt s’achever. Le spectacle, cette fois, fut mémorable. Que d’action ! Et pourtant, ce n’était pas gagné, parce que souvenez-vous : ce bal est celui des impotents. Tournez, politiques, raidissez-vous d’autorité républicaine, faites ce que vous voulez, vous n’êtes plus les maîtres. Ceux de l’économie vous ont bouffés.
Mais dans cette caverne où s’agitent les ombres-candidats qui veulent toucher aux dorures de l’Élysée, un spectre se démarque : Mélenchon. Il m’importe moins que ceux qui y croient, ces Français avec qui j’aime vivre. Je ne suis pas de ces râleurs qui ne cessent de couiner (https://abordages.net/les-gens-qui-ralent/ ) que lorsque tout est à leur goût, qui ne seront heureux que lorsqu’ils seront crevés. Au-delà des illusions, j’aime nous voir vibrer à l’idée que quelque chose peut changer. Devant les ombres, il y a nous.
Alors malgré ma réticence à tremper dans l’urne d’une République si efficace gardienne d’un ordre social fondamentalement injuste, accaparée par des escouades de politiciens professionnels malhonnêtes et au service des riches, malgré mon aversion à l’idée de donner un mandat blanc pour cinq ans, malgré les fantômes de cruelles trahisons (après 1981, en Grèce il y a deux ans – https://abordages.net/notes-d-un-referendum-a-une-capitulation/) , malgré ma conviction que nous ne pourrons rebooter le système qu’en nous impliquant corps et âme – et pas seulement avec un petit morceau de papier –, malgré mon absence d’illusions quant à la mise en œuvre réelle du programme de la France insoumise, malgré ma conviction qu’il faut aller bien au-delà de ce programme réformiste, malgré les cochonneries qui traînent dans ses meetings – les Marseillaises, la Patrie –… malgré tout ça, je glisserai un Mélenchon dans la boite.
Il n’est pas révolutionnaire. C’est un social-démocrate qui rallume les fondamentaux du socialisme réformiste. Mais avec la droitisation de toute la société ces dernières années, ça donne quand même de l’air. Il y a aussi dans ce programme de très bonnes choses* et j’ai l’impression que si cette équipe l’emporte cela pourrait ouvrir quelques brèches, dégager quelques espaces, rappeler au pays que la médiocrité du profit n’est pas inéluctable ; et je ne suis pas le seul, même les économistes s’y mettent (http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/04/18/pour-une-politique-economique-serieuse-et-a-la-hauteur-des-enjeux-votons-melenchon_1563456); ce sera aussi claquer sèchement les courtisans de la-finance-vous-garde qui gouvernent depuis si longtemps, et qui cette année poussent sans vergogne leur bankster en avant, Macron, soutenu par les ectoplasmes du monde d’avant, les vieux soixante-huitards baveux, les anciens fachos reconvertis en libéraux et même le président actuel (que l’on surprend à taper plus fort sur Mélenchon que sur Le Pen), et surtout, soutenu par le CAC 40 et la presse à ses ordres (https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/210417/macron-un-putsch-du-cac-40-par-aude-lancelin )…
Quant au voleur-en-chef de la droite du sens commun et à l’héritière xénophobe, Fillon et Le Pen, juste un délice de les renvoyer à leur crasse.
Mon éthique politique n’en souffrira pas. Elle ne se nourrit pas de principes platoniciens, mais de sueur, de rires, de sang et de larmes humaines. L’éthique est un rapport à l’autre, pas à soi. Un vote aux côtés de millions de gens avec qui j’ai envie de vivre, ça vaut bien quelques peluches sur le velours parfait de mes beaux idéaux. Et s’il ne passe pas le premier tour, qui se dira « de gauche » en assumant ne pas avoir voté « France insoumise » me semblera sans doute aussi incongru et déplacé qu’un Père Noël en plastique accroché à la façade d’un pavillon de banlieue. Ceux qui auront voté Macron seront passés de l’autre côté.
Si Mélenchon n’est pas au deuxième tour, j’ai déjà expliqué pourquoi je ne voterai pas, en aucun cas.
S’il gagne, ne commettons pas l’erreur des Grecs qui sont restés coi après la victoire de Syriza, lapins heureux, mais lapins fragiles dans les phares du nouveau pouvoir. Quel que soit le monarque élu, c’est bien ailleurs que derrière les petits rideaux des isoloirs que nous devrons continuer à construire le front d’un autre futur : par nos luttes, en étant prêts à affronter le nouvel ordre s’il veut nous faire taire, en aiguisant nos résistances aux tauliers capitalistes, en construisant nos pensées, nos solidarités, nos alternatives.
Je voterai avec mes différences en bandoulière, allégé de toute illusion, comme j’ai souvent manifesté aux côtés de gens avec qui j’étais en désaccord sur tant de choses, mais avec lesquels je partageais ponctuellement des revendications. Et je le ferai avec plaisir. L’idée que des lignes puissent bouger me réjouit énormément.

***

* Renégocier les traités européens, protectionnisme solidaire, démanteler les BAC, amnistier les syndicalistes et militants associatifs condamnés pour faits de luttes sociales, écologiques ou pour la défense des libertés, sortir de l’OTAN, augmenter le budget de la culture à 1 % du PIB, adopter une loi contre la concentration des médias, généraliser le Planning familial dans ses missions de formation et d’éducation pour la contraception et le droit à l’avortement, refuser les financements publics pour toute activité cultuelle ou religieuse, défendre le droit du sol intégral, renforcer les moyens civils de sauvetage en mer Méditerranée, régulariser les travailleurs sans-papiers, augmenter le budget des universités, ouvrir 500 000 places en crèche et modes de garde adaptés dans les cinq ans, stopper le financement public des écoles privées, sortir du nucléaire, diminuer l’affichage publicitaire, instaurer une planification écologique et démocratique, combattre l’obsolescence programmée, protéger la haute mer de toute appropriation, mettre en place un droit de veto suspensif des salariés contre les licenciements économiques, favoriser le passage à la semaine de quatre jours pour aller vers les 32 heures, interdire les licenciements boursiers, abroger la loi El Khomri, taxer les transactions financières, séparer les banques d’affaires et de détail, restaurer le droit à la retraite à 60 ans à taux plein, reconnaître un droit de préemption aux salariés en cas de fermeture ou de vente de l’entreprise, retirer la licence bancaire aux établissements ayant une activité dans les paradis fiscaux, créer 14 tranches d’impôt sur le revenu, au lieu de 5 actuellement, faire racheter la dette publique par la banque centrale, permettre la révocation des élus par référendum, réunir une Assemblée constituante pour écrire une nouvelle Constitution, reconnaître le vote blanc… entre autres.



Leo S. Ross
21 04 2017