Réflexions sur le rude 13 novembre 2015

Le vendredi 13 novembre 2015, de lâches assassins ont attaqué au fusil d’assaut la ville qui m’a vu naître, dans laquelle j’habite, le comptoir sur lequel je me suis accoudé des dizaines de fois, mes voisins, mon Paris. Attaquer n’est qu’un mot et Paris n’est qu’un nom. La réalité est que des hommes armés ont tiré sur des centaines de personnes désarmées, par surprise, puis se sont fait exploser ; des balles et des boulons brûlants ont déchiré des chairs, brisé des os, arrêté des cœurs et refroidi des cerveaux. Cent trente personnes en sont mortes. J’essaie de garder mon sang-froid, je relègue l’insulte aux notes de bas de page [1].

De l’émotion
Les morts sont morts. À leurs proches, à leurs familles, à leurs amis j’adresse mes impuissantes condoléances et ma tristesse. Aux survivants, aux centaines de blessés, j’exprime ma solidarité, mon amitié.
Et après ? La tristesse en bandoulière, que fait-on ?

Comprendre
Essayer de comprendre. Le Moyen-Orient, une région du monde qui a vu naître de grands progrès, comme l’écriture et l’agriculture, et de terribles régressions, comme les monothéismes religieux. Des guerres interminables entre cités et royaumes, des croisades, des empires perse, grec, romain, ottoman qui passent et repassent. L’Occident colonise la région au nom de la civilisation chrétienne, puis du pétrole, et laisse à son départ des frontières artificielles que les nationalistes qui prennent le relais ont conservées pour assoir leur nouveau pouvoir. Les Soviétiques s’embourbent en Afghanistan, les États-Unis arment et forment la guérilla, dont un certain Ben Laden. Le 11 septembre 2001, quand un sinistre type en djellaba échappe à son Frankenstein de Langley et assassine des milliers de New-Yorkais au nom de l’Islam. Les États-Unis abattent le régime irakien en 2003 sur la base d’un mensonge d’État – les armes de destruction massive –, causent la mort de centaines de milliers de civils et virent tous les sunnites de l’armée de Saddam Hussein. D’anciens officiers baasistes rejoignent des barbus ultras et se mettent en tête de fonder un État islamique pour retrouver l’ombre de leur pouvoir. Les pétromonarchies du Golfe voient avec horreur les chiites prendre de l’importance dans la région, et certains riches et influents clans financent les islamistes sunnites.
Lorsqu’éclate la révolte du peuple syrien en 2011 [2], le régime tue et bombarde ses citoyens et l’opposition modérée, ceux qui auraient dû être soutenus. Dans un premier temps, il se garde bien de combattre les islamistes dans le but de légitimer sa répression en les laissant devenir son premier ennemi (il en libéra même des milliers de ses prisons). Bachar Al-Assad : des centaines de milliers de morts. L’organisation État islamique se développe alors comme une nouvelle force impérialiste, coloniale, et doit convaincre des milliers d’étrangers de rejoindre leur nouveau califat et faire le djihad. Dans ce but, l’EI lance ses attaques contre l’Occident honni. Des Kurdes se battent courageusement – hommes et femmes égaux – mais seuls : la Turquie sous un régime islamiste « modéré » fait partie de l’OTAN, et les États-Unis comme l’Europe considèrent toujours les organisations kurdes comme terroristes. Des jeunes salauds en perdition, parfois désocialisés mais plus souvent psychopathes, toujours nihilistes, en mal de radicalisation, trouvent dans les délires religieux et la violence (cf. l’analyse d’Olivier Roy [3]) un sens à la vie plus intense que le consumérisme proposé par des pays tels que la France ou la Belgique. Les attentats comme propagande de brutes pour attirer des brutes, avec une stratégie visant à fomenter répression, xénophobie et guerre civile ce qui, dans l’esprit des tauliers de l’EI, devrait pousser davantage encore d’hommes et de femmes à les rejoindre. Les Russes s’en mêlent pour leur port de Tartous et leur stature internationale, et, de leur côté, Américains et Européens ne veulent pas lâcher leurs intérêts dans la région. Des hommes arrivent à Paris et massacrent cent trente civils pacifiques qui ne faisaient que profiter d’une douce soirée de novembre.
En synthèse et raccourci : histoire d’impérialismes. Lambeaux des grands empires européens (français, britannique), dont une nouvelle forme – économique et occidental – continue de façonner le Moyen-Orient ; impérialisme islamique, ou comment une religion de conquête déchire la région, coupe des mains et asservit les femmes. Invasion de nos esprits par la peur et la manipulation, sorte d’impérialisme mental auquel se livrent la plupart des forces politiques et des médias français. La conséquence de ces impérialismes entremêlés, bien plus complexe que le simpliste « conflit de civilisations », ce sont des peuples plongés dans des tragédies pour des intérêts qui ne sont pas les leurs, la violence qui fauche des gens paisibles et l’aliénation.
Il n’est pas aisé de donner une définition précise du fascisme. Mais en comparant certaines caractéristiques du fascisme historique avec l’islamisme, l’identité est frappante : culte du chef, mystique du combat, gouvernement par la terreur et glorification de la violence, xénophobie, autoritarisme, détestation des femmes et élimination des opposants, dogmatisme et intrusion dans la vie privée [4]. Certes, l’islamisme n’est pas directement lié au développement du capitalisme industriel et la dimension nationaliste n’est pas essentielle. Mais du point de vue de ceux qu’il anéantit et asservit, c’est-à-dire de ceux qui le subissent, on peut dire qu’il est une nouvelle engeance fruste de fascisme féodal.

Et après ?
Les islamistes sont mes ennemis. Ce sont de lâches assassins, hérauts stupides d’une religion qui, comme toutes en leur essence, abaisse et méprise les humains, les femmes en particulier. Je ne peux me résoudre à en négliger la malfaisance ni à taire la révolte que m’inspirent leurs actes au prétexte que l’islam est souvent, en France, une religion adoptée par les plus exploités et précaires. La sauvagerie et l’absurdité de ces tueries ne peuvent laisser de place à la discussion. Il faut les combattre, simplement.

Fluctuat nec mergitur

Comment ?
Bombarder – massivement ou pas – les positions de l’EI ne résoudra pas le problème. L’expérience militaire le montre : sans intervention de soldats au sol, une armée non conventionnelle ne peut être défaite. Au contraire. La mort et la souffrance des civils, qui ne demandent jamais rien, mais reçoivent toujours une bonne part de ces bombes, finissent par légitimer politiquement ceux à qui elles étaient destinées. Mais par ailleurs, une intervention au sol serait inévitablement vue comme ce qu’elle serait : une campagne d’occupation. Ne rien faire, c’est laisser le fascisme islamiste monter en puissance. S’allier au régime syrien, c’est s’allier à un criminel de guerre, responsable de centaines de milliers de morts. Dans ce marasme de sauvagerie, la seule option raisonnable en matière militaire est de soutenir les Kurdes. Ce peuple lutte depuis presque cent ans pour obtenir le droit à un pays, écartelés qu’ils sont entre l’Irak, la Syrie et la Turquie. Mais surtout leurs organisations (PKK et PYD et leurs unités combattantes en Syrie, YPG et YPJ), hier d’inspiration marxiste-léniniste tendance autoritaire se réclament aujourd’hui du confédéralisme démocratique, dont les principes assembléistes, laïques, sont issus du municipalisme libertaire [5]. Les femmes combattent aux côtés des hommes et l’égalité entre les sexes et le collectivisme sont des dimensions importantes des efforts d’émancipation des Kurdes (lire sur le sujet l’article de David Graeber [6]). Il est probable que les Kurdes, même victorieux, ne descendront pas chercher les islamistes au sud, au-delà des frontières du Kurdistan qu’ils veulent construire. Cela ne résout pas non plus la question de l’implantation de l’EI en Libye. Mais au moins, soutenir les Kurdes c’est à la fois combattre les islamistes et appuyer les organisations d’un peuple qui se bat fièrement pour sa liberté (d’ailleurs : pourquoi la lutte des Kurdes suscite-t-elle autant d’indifférence, depuis tant d’années, en comparaison de la lutte des Palestiniens contre le colonialisme israélien ?). Qu’est-ce que soutenir ? Des mots. La réalité d’un soutien ce peut être : soutenir les organisations kurdes (cf. par exemple « L’appel antifasciste de soutien aux révolutionnaires kurdes en lutte contre Daech » [7]), exiger leur retrait des listes « terroristes », réclamer l’amnistie pour leurs militants (il est sidérant de voir l’Union européenne faire semblant de rouvrir les discussions d’adhésion avec la Turquie – dans le seul but qu’ils empêchent les réfugiés de rejoindre l’Europe –, alors que celle-ci tue, arrête et condamne les militants du PKK et continue de faciliter la vie aux gens de l’EI : fourniture d’armes, achat de pétrole, traitement de leurs blessés, bombardements massifs des Kurdes…). Soutenir les Kurdes ce peut être enfin appuyer la fourniture d’armes, rejoindre leurs unités de combat ou accepter le mal nécessaire des bombardements par les aviations française, américaine, anglaise, etc., s’ils sont coordonnés avec les unités combattantes kurdes (cf. le témoignage d’un antifasciste communiste parisien parti rejoindre les unités YPG en Syrie : [8]).

Le sécuritaire
La réaction face aux fascistes devrait toujours être double : les combattre, mais aussi et surtout affirmer d’autant plus fort qu’ils sont violents ce qui nous différencie : l’amour de la liberté, la fraternité, la culture, l’éducation et l’ouverture sur le monde. Or, en un réflexe similaire à celui de l’huitre sur laquelle tombe une goutte de citron, l’État se précipite pour décider de mesures de sécurité. Et c’est tout. Pire, ces mesures de sécurité bouffent notre liberté bien au-delà du nécessaire.
Pour protéger les citoyens, pour rassurer disent-ils. Vraiment ? Prenons l’état d’urgence. L’intérêt de s’exonérer de procédures judiciaires pour perquisitionner – le principal intérêt pour la police – s’estompe rapidement : bien que particulièrement crétins, les islamistes ont tout de même compris. Au bout d’une semaine, deux peut-être, l’effet de masse et de surprise disparaît [9]. Mais l’état d’urgence a été voté pour trois mois, à la quasi-unanimité des députés. Et il est probable qu’il soit prolongé. C’est qu’il présente au moins deux autres avantages pour le pouvoir : d’abord, il est un symbole fort de la préoccupation et de la prise en charge de la situation par l’État ; c’est-à-dire de la communication, de la propagande. Ensuite, il permet d’interdire toutes les manifestations ; à quelques jours de la COP21 où une forte et très contestataire manifestation était prévue, et vu les trahisons sociales de ce gouvernement et les réactions de colère des Français (grèves, occupations, ZAD, manifestations, meetings…) cela tombe particulièrement bien pour le pouvoir. Comme l’ont écrit en grand des inconnus Quai de la Râpée, le 5 décembre 2015 : « L’état d’urgence pour faire oublier les tas d’urgences ».
Mais revenons sur un point : pour protéger les citoyens, pour rassurer… vraiment ?
Prenons l’idée de déchoir les doubles nationaux de la nationalité française s’ils sont convaincus de terrorisme… ou « d’un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». Du point de vue de l’efficacité, la mesure n’a aucun intérêt [10]. Mais elle permet au gouvernement de faire dans le sécuritaire à bon marché, prenant au passage la droite et l’extrême droite à contre-pied. Dans la fange politicienne, c’est habile… et suicidaire – parce que la droitisation profite finalement toujours à la droite. Dans la réalité d’une société démocratique, c’est également détestable. Car dans l’inconscient politique de tout un chacun, cela évoque subrepticement que le problème du terrorisme est nécessairement lié aux immigrés. C’est détestable parce que c’est une prétendue « gauche » qui reprend le pire de l’extrême droite, crée deux catégories de citoyens – les douteux qui ont acquis la nationalité et les fiables qui ont eu des aïeux résistants… ou plus probablement collabos ou attentistes – alors qu’elle devrait affirmer des principes humanistes et universels.
L’état d’urgence prolongé nous habitue à vivre sous un régime d’exception, et la déchéance de la nationalité officialise les idées d’extrême droite. Peu à peu s’instaure ce que Giorgio Agamben appelle « l’État de sécurité » : « Maintien d’un état de peur généralisé, dépolitisation des citoyens, renoncement à toute certitude du droit » [11]. Là encore, c’est notre esprit qui est à chaque fois colonisé par ces idées, au point que le corps social les accepte. L’État actuel n’est pas fasciste. Mais par bêtise, faiblesse intellectuelle, par lâcheté, manque de confiance, par calcul politicien, par idéologie sécuritaire, tout se passe comme s’il préparait, mesure après mesure, l’avènement d’une dictature (par le passé, « l’état d’urgence est justement le dispositif par lequel les pouvoirs totalitaires se sont installés en Europe » [11]). Au vu des derniers résultats électoraux du FN – 6,8 millions de voix aux élections régionales de décembre 2015 –, c’est suicidaire.

Confiance en notre liberté
Face à ces attaques, les représentants d’un pays démocratique et sûr de lui auraient au contraire affirmé : obscurantistes, vous attaquez nos valeurs les plus essentielles, nous les réaffirmons donc avec d’autant plus de force. Un tel gouvernement n’aurait pas cédé à la facilité de jouer de la peur et de l’effroi. Bien sûr qu’il faut pourchasser, trouver et mettre hors d’état de nuire les islamistes. Et il est même possible d’imaginer que pour une semaine ou deux certaines procédures judiciaires soient allégées. Mais la France, par son discours, l’ampleur et la durée de ses mesures d’exception verse dans la réaction martiale et sécuritaire la plus sombre. En cela, elle donne une petite victoire aux islamistes.

La sécurité
Les gouvernants ne sont pas seuls responsables. Les citoyens qui les laissent faire, qui continuent de voter pour eux, qui laissent leurs esprits penser comme le proposent les journaux, les radios et la télévision sont aussi responsables. J’ai appelé cela plus haut le colonialisme de nos esprits. Un domaine est particulièrement soumis à cet impérialisme mental : la sécurité. Dans notre société percluse de peur et d’anxiété, la sécurité n’est invoquée comme un totem que pour réduire les risques, quel qu’en soit le coût, en particulier pour nos libertés (il est significatif que le gouvernement, intraitable pour faire respecter les injonctions d’austérité de la Commission européenne quand il s’agit de solidarité ou de santé par exemple, n’hésite pas maintenant à les outrepasser ou nom d’un « pacte de sécurité »). Or, penser la sécurité d’un pays c’est avant tout décider comment traiter les risques. Le premier de ces traitements, si évident et pourtant si souvent omis, c’est l’acceptation. Oui, il est des risques qu’une société ferme sur ses valeurs, comme le respect des libertés des citoyens, doit accepter. Oui, il est probable que, quelles que soient les mesures sécuritaires mises en place rien n’empêchera des hommes armés de kalachnikovs et prêts à se sacrifier de tirer dans une foule. Dès lors, pour protéger nos libertés, ce risque doit probablement être accepté par la société. Ce qui ne signifie bien sûr pas qu’il ne faille pas combattre, autrement et ailleurs, ces criminels. Mais pas au moyen de mesures qui nous plongent dans l’état d’urgence permanent.
Nous devons nous réapproprier la sécurité. Disons d’emblée que la démarche que nous allons évoquer est radicalement différente des petits pets de l’extrême droite qui rêve de milices en chemises brunes ou de la vigilance entre voisins de certaines petites bourgeoisies périurbaine. Nous sommes au biberon de l’État, habitués à ce qu’il fasse ce qu’il y a à faire pour notre sécurité. Nous lui avons tant délégué que toute alternative à son omnipotente mainmise est devenue malaisée et inaudible. Or, l’État, dans notre démocratie, ce sont les partis politiques qui alternativement le dirigent. Partis qui ne divergent, en idéologie et en méthode, qu’à la marge. Et l’on voit par les mesures de sécurité qu’il envisage – comme la déchéance de nationalité ou le maintien dans la durée de l’état d’urgence – que la communication, la réponse au sentiment de peur, est essentielle. C’est-à-dire que la manipulation est essentielle. Et c’est bien parce que ce sujet est si propice à la manipulation du pouvoir qu’il faut nous le réapproprier.

Réflexions sur le rude 13 novembre 2015

Se réapproprier la sécurité, d’abord, c’est donc nous habituer à accepter des risques. Un rescapé de la tuerie du Bataclan demande : « Suis-je le seul à préférer courir le risque de me faire mitrailler au détour d’un concert plutôt que de vivre dans un État policier ? » [12]. Une approche saine de la sécurité, c’est nous joindre à lui pour répondre que oui, nous préférons ce risque à cet état. Ce sont aussi des actions plus concrètes comme : suivre des cours de secourisme, intervenir dans l’espace public si une personne (homme, mais bien plus souvent femme) est agressée, y compris si l’on risque de prendre quelque vilain coup, y compris, si possible, si l’agresseur est armé (c’est un hasard, mais j’ai été frappé par le fait que trois des quatre hommes qui sont intervenus pour désarmer un islamiste armé dans un TGV en août 2015 étaient Américains, et pas Français). C’est refuser d’acquiescer à la nauséabonde logique des délations. C’est mettre en cause, au-delà de la propagande et des fausses évidences, des mesures comme la généralisation de la vidéosurveillance, de la surveillance électronique de masse ou de la biométrie. C’est affirmer qu’il n’y a pas de vie qui vaille la peine d’être vécue sans risques, c’est-à-dire lutter contre un cancer qui envahit notre société : la peur. Se réapproprier la sécurité, c’est cesser d’avoir peur et de geindre ; en particulier peur de l’autre, de l’étranger, du rouge, du noir, des réfugiés, des scientifiques, de l’homosexuel qui veut juste pouvoir vivre comme les autres ou des syndicalistes qui déchirent les chemises blanches de ceux qui déchirent leur vie. Cesser d’avoir peur est aussi ce qui nous permettra de remettre en cause ce qui semble éternel de toute éternité, comme l’exploitation de l’homme par l’homme ou le racisme. Se réapproprier la sécurité, c’est apprendre à la penser. Entendre l’expertise des experts, mais pas nécessairement leurs opinions. C’est nous habituer à interroger, mettre en cause et discuter ce qui d’ordinaire nous éblouit : la sécurité sécuritaire et simpliste qui vient panser nos terreurs.

Laïcité
Les attaques du 13 novembre sont liées à la religion, à la place de la religion dans le monde. Il est impossible d’évacuer les revendications des tueurs : ils ont mitraillé au nom d’une religion dans un pays laïc où une minorité de Français se déclarent croyants (40 %). Nous ne sommes pas devenus une telle cible par hasard. L’émancipation des religions a été un combat de longue haleine menée par des générations d’hommes et de femmes contre le joug de l’Église catholique. Ces dernières années la laïcité n’est le plus souvent invoquée que comme un principe de neutralité face aux religions, de garantie de libre exercice des cultes, et, pire, tout est fait pour donner aux religions un rôle dans la République. Cette logique évacue l’effort de réduction de la place et du rôle des religions dans l’espace public.
Un constat me parait donc essentiel de réaffirmer avec force aujourd’hui : les religions font plus de mal que de bien aux sociétés dans lesquelles elles se développent. Parce qu’elles imposent des dogmes, des ordres moraux rétrogrades – le corps des femmes étant leur sujet favori –, parce qu’elles professent des inepties présentées sous forme de vérités révélées et, enfin, parce qu’elles véhiculent et entretiennent des réflexes de soumission au lieu de contribuer à l’émancipation. Les actions des islamistes sont une expression extrême de la malfaisance des religions, comme l’Inquisition le fut en son temps.
En forme de sordide rappel, les attentats de Paris ravivent l’importance de la dimension émancipatrice de la laïcité (cf. l’article de G. Gourc sur ce concept de « laïcité-émancipation » versus « laïcité-liberté » [13]). Cette laïcité ne consiste pas uniquement à garantir la tolérance et la neutralité vis-à-vis des religions, mais affirme la nécessité de juguler et réduire leur audience dans l’espace public. En particulier à l’école et concernant le droit des femmes à disposer librement de leur corps.
Dans le même mouvement de neutralisation de la laïcité, ces dernières années ont vu deux phénomènes croître de concert : d’une part une certaine mansuétude de la gauche, de progressistes et de certaines extrêmes gauches envers les revendications des prosélytes musulmans (permettant le « déplacement de l’islam d’une culture privée à une culture publique », cf. l’article de C. Gallion [14]), d’autre part, des tentatives d’annexion des combats pour la laïcité par l’extrême droite. Ces deux phénomènes sont les conséquences de l’affaiblissement des principes de la laïcité : certains à gauche n’osent plus affirmer que la religion est un mal social et acceptent le concept d’islamophobie qui « est ce qui permet de qualifier de raciste toute mise en cause de l’Islam » [13] ; tandis que d’autres, à l’extrême droite, peuvent s’emparer de la laïcité qu’ils brandissent comme principe d’exclusion xénophobe parce qu’elle a été expurgée de sa dimension d’émancipation sociale.
Il est donc temps de reprendre en main notre laïcité. Oui, les religions causent plus de torts qu’elles ne font du bien. Si leur pratique privée doit être préservée, leurs apparitions publiques doivent être combattues, surtout lorsqu’elles sont cajolées par un pouvoir qui y voit des auxiliaires pour maintenir ordre et contrôle social. S’il est évident qu’il faut respecter les croyances privées de tout un chacun, aussi attentatoires à la raison ou à la beauté qu’elles soient, il faut aussi affirmer qu’aucun respect particulier n’est dû aux religions : blasphémer est une liberté essentielle. Que l’Islam soit une religion largement répandue parmi les plus exploités et précarisés ou que l’absence de clergé musulman structuré soit un défi qui complique l’affrontement ne doit ni aveugler ni décourager : il est plus que jamais nécessaire de reprendre les luttes d’émancipation contre les religions. Au quotidien cela permettra aux femmes et aux hommes de faire ce qu’elles et ils veulent de leurs corps sans subir de pathétiques « manifs pour tous », écartera les enfants de l’atteinte à la sûreté de l’esprit qu’est l’éducation religieuse ou encore amoindrira les réflexes identitaires (comme l’incantation à des fins d’exclusion des prétendues « racines chrétiennes » de l’Europe ou les logiques de soutien automatique à la politique israélienne en Palestine de certains Juifs). À l’extrême, cela réduira l’attractivité de l’Islam radical pour de jeunes psychopathes prêts à tuer en brandissant l’étendard morbide de leurs délires mystiques.
Néanmoins, si réaffirmer la dimension émancipatrice de la laïcité est essentiel, il ne faut pas perdre de vue que l’asservissement religieux n’est qu’une forme d’aliénation parmi d’autres. L’oublier c’est prendre le risque de laisser le champ libre aux nombreux autres promoteurs de sujétion. L’émancipation des religions doit s’inscrire dans une logique globale d’émancipation sociale.

Retour contre le fascisme… garder le cap
La menace du fascisme islamiste ne peut pas être minimisée. Pas moins que celle des fascistes franchouillards, le Front national. Ce sont des ennemis dangereux, qu’il faut combattre partout et toujours. Néanmoins, n’oublions pas que le spectre des fascismes a toujours été utilisé par les pouvoirs garants de l’ordre capitaliste. Tantôt pour combattre le péril de la révolution sociale (comme lorsque les grands industriels allemands ont décidé de soutenir les nazis pour étouffer communistes et spartakistes), tantôt pour s’ériger en défenseurs de la démocratie contre la bête immonde et détourner l’attention de ses propres crimes. Ces mêmes crimes qui amènent le fascisme. Les crimes du capitalisme : misère, morts prématurées, aliénation, injustice, répressions des contestataires, saccage de l’environnement. Le combat contre les fascismes religieux et bruns ne prend du sens qu’en parallèle du combat contre toute forme d’aliénation et d’exploitation, qu’elle soit religieuse, politique ou économique.

*

[1] Lâches assassins,‭ ‬les mots sont faibles pour dire la crasse qu‭’‬ils sont.‭ ‬Ce sont des ordures,‭ ‬des brutes,‭ ‬lâches comme de vieilles girouettes‭ ‬rouillées,‭ ‬moins dignes que des sacs en plastique troués,‭ ‬idiots comme les armes pourries qu‭’‬ils manipulent,‭ ‬je pisse sur leur âme,‭ ‬sur leur prophète et sur toutes leurs croyances aussi imbéciles que nocives,‭ ‬oui,‭ ‬j‭’‬insulte,‭ ‬la colère ne me quitte pas,‭ ‬c‭’‬est que je le prends personnellement,‭ ‬c‭’‬est chez moi que ces hyènes décérébrées ont tué,‭ ‬alors oui,‭ ‬j‭’‬exècre ce qu‭’‬ils sont,‭ ‬ce qu‭’‬ils font,‭ ‬leur religion et je n‭’‬ai qu‭’‬une satisfaction,‭ ‬la certitude qu‭’‬il n‭’‬y pas de vie après la mort et que ces pauvres salopards sont morts pour rien dans leur merde,‭ ‬seuls et sans personne pour les aider ou les pleurer.
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8ge_de_Homs
[3] Olivier Roy, le djihadisme est une révolte nihiliste, Le Monde mercredi 25 novembre 2015 (http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/11/24/le-djihadisme-une-revolte-generationnelle-et-nihiliste_4815992_3232.html )
[4] Il est difficile de donner une définition claire et précise du fascisme. Il est cependant structuré par quelques principes et pratiques. Sans prétendre être exhaustif, comparons-les avec l’État islamique :
Fascisme————————————————–Islamisme
Culte du chef / valeur religieuse du guide—————-Identique|
Dimension mystique et religieuse————————–Identique
Nationalisme———————————————-Pas tout à fait
Glorification de la violence——————————Identique
Gouvernance par la terreur——————————–Identique
Prétention à l’abolition des classes———————-Non
Ne réussit que s’il a le soutien des capitalistes———Non
Xénophobie————————————————Identique
Idée mystique de la race———————————-Pas tout à fait
Intrusion dans la vie privée——————————Identique
Dogmatisme————————————————Identique
Autoritarisme débarrassé du respect du droit————–Identique
Culte de l’ordre——————————————Identique
Élimination physique des opposants————————Identique
Détestation des femmes et élimination des homosexuels—–Identique
Vu le nombre de points communs, il me semble tout à fait légitime de qualifier l’islamisme de fascisme.
Ajoutons une citation de Georges Bataille : « Jusqu’à nos jours, il n’existait qu’un seul exemple historique de brusque formation d’un pouvoir total, à la fois militaire et religieux, mais principalement royal, ne s’appuyant sur rien d’établi avant lui, celui du Khalifat islamique. L’Islam, forme comparable au fascisme par sa faible richesse humaine, n’avait même pas recours à une patrie, encore moins à un État constitué ». La structure psychologique du fascisme, 1933.
[5] Cf. sur l’évolution de la doctrine des organisations kurdes l’article de Rafael Taylor, octobre 2014 : https://www.monde-libertaire.fr/?page=archives&numarchive=17300
[6] http://www.theguardian.com/commentisfree/2014/oct/08/why-world-ignoring-revolutionary-kurds-syria-isis
[7] http://lahorde.samizdat.net/2015/11/21/appel-antifasciste-de-soutien-aux-revolutionnaires-kurdes-en-lutte-contre-daech
[8] https://news.vice.com/fr/article/entretien-avec-un-jeune-communiste-francais-parti-lutter-pour-la-revolution-au-kurdistan-syrien-et-contre-lei
[9] Ce constat est donné par l’ex-juge antiterroriste Marc Trévidic, spécialiste en la matière s’il en est. Cf. la matinale de France Inter le 23/11/2015.
[10] Toujours l’ex-juge antiterroriste Trévidic qui qualifie la mesure de « gadget ». Cf. la matinale de France Inter le 23/11/2015.
[11] De l’État de droit à l’État de sécurité, Giorgio Agamben, Le Monde, 23 décembre 2015 (https://www.lemonde.fr/idees/article/2015/12/23/de-l-etat-de-droit-a-l-etat-de-securite_4836816_3232.html )
[12] http://www.fier-panda.fr/article/prendre-balle-bataclan
[13] Pour une laïcité de combat, Gilles Gourc, Les temps maudits, avril 2007.
[14] Panique de la gauche face à l’islamisme, Cyrille Gallion, Les temps maudits, avril 2007.



Leo S. Ross
03 01 2016