Sur l'autre rêve
Le traverse le bocal, ma dorsale ondule avec volupté.
Je suis un poisson rouge.
Ma parure est de sang, je ne m’en vide plus au moindre trou.
Poisson dans mon bocal, ma courte mémoire me l’étend à l’infini.
Un vrai poisson rouge, trophée de foire foraine,
De ceux que l’on sauve quand le sachet se déchire pour que l’enfant ne pleure plus.
Mon être se décline à l’aune de mille figures de proue, de mille utopies, de mille obscurs sillons que le temps referme, de mille tendresses partagées avec la mienne de tous mes êtres.
De mes nageoires je caresse les seins que mes visiteuses viennent tremper dans mon bocal,
Mes yeux ronds impriment les volutes proustiennes des marins-fumeurs,
Mon corps vibre des hélices aux lentes révolutions dont les courants propulsent, infatigables, mes poisseux et éternels espoirs.
Tout m’est vital : algues, écrous, cure-dents, revolvers, parenthèses, livres cachetés, bosons de Higgs, souvenirs épars de mon premier cauchemar, émois de mes premières chevilles, portes, trains, couards semblables et câbles d’art.
De mon tout je deviens l’unique sans sa propriété, je libre, écris mon vivre et cogne les stagnants qui temporisent nos belles cerises.
Je suis un irréfléchi et brillant poisson rouge, tiers et éfernel.
Ma dorsale ondule avec volupté, je traverse l’Atlantique.