Échantillon de vies
Posés sur l’étroite table couverte de cuir noir de ma chambre d’hôtel, quatre livres pris dans ma bibliothèque avant de partir. Ainsi étalés, ils ressemblent un peu à ma vie en littérature. Moby Dick, d’Herman Melville. L’éternelle lutte du bien contre le mal, jusqu’à se perdre, transcrite en métaphore par l’obsessionnelle traque de la baleine blanche du capitaine Achab. Je suis embarqué dans ce livre comme les marins du Pequod, depuis des années, en un périple parfois lent, parfois long, souvent recommencé, sans retour et sans fin. Je suis le capitaine Achab. Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, de Stefan Zweig. La tourmente des passions – du jeu, mais surtout de l’amour – qui emporte les vernis sociaux et la morale fade. Mène à la vie, mène à la mort, mais mène quelque part. Je relis ce petit roman en remerciant Zweig de m’avoir fait grandir, non par la douceur de sa voix, mais par son habileté à saisir et décrire le cœur des hommes et des femmes. Grâce à lui, j’aurais été, une fois dans ma vie, une vieille dame qui raconte vingt-quatre heures bouleversantes de sa vie passée.
Récit d’un naufragé, de Gabriel Garcia Márquez. Narration de jeunesse qui tranche par le fil de son format initial, le feuilleton journalistique. Un style qui tape et dit avec force l’intense et simple volonté de vivre. J’ai dérivé des jours entiers sur un radeau la première fois que j’ai lu ce récit, il y a des années. Le relire est me reperdre en mer, puis me sauver à nouveau. Vers chez les blancs, de Philippe Djian. Le plus contemporain des livres qui m’accompagnent, un écrivain qui ne trouve plus la force du verbe... le seul que je n’ai pas encore terminé, le seul qui m’ait été prêté par un ami. Je n’ai encore vécu que la moitié de cette vie. Voilà donc mes compagnons de voyage. Je trouve que cette fois ils font un bon échantillon des nombreuses vies que m’ouvrent les livres depuis tant d’années.
2 septembre 2018